La SNCF est à la tâche en ce début d'année. Après s'être frottée à l'effondrement de Sea France en janvier, elle doit gérer celui du Sernam en avril. Créé en 1970, privatisé en 2005, l'ancien Service national de messagerie revient dans le giron de son géniteur par l'intermédiaire de sa filiale Geodis. En fait, il s'agit plutôt, comme dans le cas de Sea France, de gérer le démantèlement d'une ancienne filiale. Le nom ne sera pas conservé, les sites seront pour la plupart fermés, ne resteront que les clients. C'est ce qu'espère Geodis, qui récupérera ainsi près de 200 millions de chiffre d'affaires et 830 personnes à recaser.
Un beau gâchis - le Sernam employait l'an dernier 1.600 personnes -qui vient couronner des décennies de liaisons dangereuses et inconstantes entre l'entreprise publique et le monde du transport routier. Alors que l'activité de transport de marchandises par train est lourdement déficitaire, la SNCF est depuis belle lurette le numéro un français du pire ennemi du rail : la route.
Depuis la généralisation du transport ferroviaire, à la fin du XIX e siècle, s'est posée la question du transport des colis, notamment ceux qui étaient trop lourds pour être acheminés par la poste. Des petits malins ont imaginé de les poser dans des emplacements libres des wagons de voyageurs et de demander à un collègue de les récupérer à l'arrivée. Puis des wagons spéciaux et enfin des rames spécifiques ont rempli cette tâche. La messagerie était née. C'était le temps béni où le réseau ferré français était bien plus performant que la route. Dans les années 1920, les camions, souvent sans pare-brise ni pneumatiques parvenaient péniblement à avaler 120 kilomètres dans la journée.
L'âge d'or du « gare à gare »
Du coup, le système était optimal. On allait déposer son colis à la gare de départ et le destinataire allait le récupérer dans la gare d'arrivée. De gare à gare, comme cela se pratiquait également de port à port pour le maritime. De plus, le train avait cet avantage merveilleux d'arriver en plein centre-ville, donc plus près des clients finaux. Et quand le client avait les moyens, il payait un chauffeur pour se faire livrer à domicile. C'est la raison pour laquelle les transporteurs, grands ou petits, ont commencé à coloniser les alentours des gares, de la même façon que l'ont fait, plus tard, les loueurs de voitures. Pour contrôler cette faune particulière et, éventuellement, en récupérer quelques bénéfices, les compagnies de chemins de fer sont progressivement entrées dans le capital de ces prestataires, souvent de petite taille. Dans les années 1920, la Société des Chemins de Fer du Nord et de l'Est de la France a ainsi créé France Transport Domicile, pour réunir tout ce petit monde spécialisé dans la livraison à domicile.
Mais les camions d'abord, puis les routes ensuite, se sont singulièrement améliorés, surtout durant les Trente Glorieuses. C'est comme cela que le piège s'est refermé. En 1932, France Transport Domicile devient l'actionnaire principal de l'un des transporteurs les plus dynamiques du moment, Calberson. En 1959, la SNCF achète France Transport Domicile et se retrouve donc propriétaire de Calberson, qui, sous la houlette de l'étonnant Guy Crescent, poliomyélitique miraculé, résistant de la première heure, fondateur du PSG et redoutable chef d'entreprise (1), deviendra le leader français du transport routier.
Dans le même temps, la SNCF décide de rationaliser ses activités de messagerie, encore importantes. En 1970, elle crée le Sernam, qui est notamment le principal transporteur de la vente par correspondance. Les quais de déchargement jouxtent les gares et les camionnettes attendent sagement les colis pour parcourir les derniers kilomètres. Le problème, c'est que la naissance du Sernam coïncide avec une évolution majeure dans le transport de colis : le passage du service de « gare à gare » au « porte à porte », avec un réseau routier modernisé et des camions performants.
Les ruptures de charge qu'implique le transport combiné rail-route ne sont plus compétitifs en délais et en prix, surtout pour des distances de 200 à 300 kilomètres. D'autant que les clients professionnels ont migré des centres-villes vers les périphéries et les noeuds routiers. La norme devient la livraison point à point en camion. Progressivement, le Sernam désertera alors les gares pour devenir un transporteur routier comme les autres avec une spécialisation dans le service express.
Restructuration permanente
Comme les autres ? Pas tout à fait car, dans un milieu d'indépendants au caractère bien trempé, où fourmillent plus de 35.000 entreprises dont des géants comme Calberson, propriété de la SNCF mais coté en Bourse et géré de façon indépendante, le Sernam, peuplé de cheminots, reste la dernière roue du carosse SNCF.
Certains racontent que le lancement de son offre de livraison express en 24 heures a été retardée de six mois, grâce à l'entregent de Guy Crescent, le temps que Calberson puisse sortir la sienne... Dès les années 1980, le Sernam perd constamment de l'argent. Et ce d'autant plus facilement que le métier de transporteur doit se contenter de marges microscopiques aussitôt remises en question par une hausse du carburant, des péages ou une nouvelle taxe.
Surtout, la société entre rapidement en concurrence, non seulement avec Calberson, mais aussi avec les autres transporteurs privés, qui dénoncent la distorsion de concurrence et finissent par porter plainte à Bruxelles. C'est cette pression européenne, alliée aux restructurations continuelles de la société qui vont pousser la SNCF à filialiser l'entreprise, puis à la privatiser en 2005, bien trop tard.
Curieusement, alors qu'elle est empêtrée dans la restructuration continue du Sernam, la SNCF choisit en 1995 de regrouper ses autres activités transport, et notamment la plus grosse, Calberson, dans une société cotée, baptisée Geodis. Progressivement, elle s'en désengage jusqu'à devenir minoritaire, avant de se raviser en 2008 et d'en racheter 100 %.
Car, aujourd'hui, la société nationale se redécouvre une vocation de transporteur tous azimuts. La bataille ne se fait plus à coups de camions, mais d'entrepôts et d'ordinateurs. L'heure n'est plus au « gare à gare » ni au « porte à porte », mais au « poste à poste » : un acheminement de l'usine de production au lieu de vente. Pour cela, il faut être gros et déployer des moyens considérables, des flottes de camions, voire d'avions, des entrepôts, de l'informatique, et ce partout dans le monde, puisque les clients n'ont plus de frontières.
Geodis tente de monter dans ce train. Pour Sernam, comme pour Mory, l'autre grand concurrent démantelé l'an dernier, c'est trop tard. Mais même Geodis pèse peu face aux géants DHL ou Schenker, filiales de la Poste et des chemins de fers allemands, au suisse Kuehne + Nagel ou aux américains UPS et FedEx. Pour avoir manqué de constance et préféré épuiser ses propres troupes, la SNCF doit se contenter pour l'instant de la seconde classe.
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