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Vers un transport maritime plus durable?


Transformer le transport maritime d'ici 2040 pour améliorer ses performances sociales et environnementales, c'est l'ambition que se donne cette plate-forme orchestrée par WWF et Forum for the future qui rassemble quinze industriels et clients du secteur. Alors qu'il représente plus de 3% des émissions mondiales de GES, le secteur n'est soumis à aucun système de régulation.

« Si vous regardez les objets autour de vous dans cette pièce, l’immense majorité a été transportée par bateau, même si les consommateurs n’en ont souvent pas conscience », souligne Sam Kimmins, chargé de mission de l’ONG Forum For the Future. 90% des marchandises sont transportées sur les 100 000 cargos qui sillonnent les mers en permanence. À première vue, le navire figure parmi les moyens de transports les plus vertueux (10 à 15 g de CO2 par tonne-kilomètre, contre 51 à 91 g/tkm pour la route et 673 à 867 g/tkm pour le transport aérien). Mais le nombre de tonnes/kilomètres, qui a doublé entre 1990 et 2008, ne cesse d’augmenter. Selon l’Organisation maritime internationale (OMI), le transport maritime représente 3% des émissions mondiales, plus que la France (1,2%) ou l’Allemagne (2,7%). Elles ne sont encadrées par aucun système de régulation, même si la mise en place d’un système de quotas ou d’une taxe sur le carburant à l’achat est à l’étude. La réglementation internationale sur le transport maritime progresse, notamment avec l’interdiction des navires à une coque en 2010, la convention de Hong Kong sur le recyclage des navires en 2009, la réduction de la teneur en soufre dans les combustibles marins de 4,5% à 0,5% d’ici 2020… Mais la mise en conformité de l’ensemble de l’industrie reste difficile à obtenir en raison des niveaux d’exigence variables des Etats pavillons et des compagnies.
Possible régulation sur les émissions de GES
Incontournable, l’industrie du transport maritime se trouve, selon, Jonathon Porritt, fondateur de Forum for the Future, à la croisée des chemins : « Après avoir, pendant des années, profité d’une bulle autour de ce marché en forte croissance, les leaders du secteur se réunissent avec l’ambition de se positionner au delà des réglementations pour répondre au besoin urgent de définir des priorités d’innovation », déclarait-il lors du lancement de la première feuille de route de la Sustainable Shipping Initiative (SSI), le 31 octobre dernier. Elle rassemble un panel d’acteurs importants du secteur. Des armateurs, BP shipping, Bunge, Cargill, Carnival, China Navigation Co., Maersk Line…, des assureurs et banquiers, ABN Amro, RSA, une société de classification technique, Lloyd’s Register et un client, Unilever. Alors qu’à Durban sera débattue la possibilité d’un système de régulation global des émissions de CO2 du secteur, le calendrier n’est pas anodin. Le WWF, qui a co-signé récemment un rapport avec Oxfam sur le sujet, voit dans le SSI une complémentarité : « Certains industriels soutiennent notre proposition de taxe, d’autres non. Mais nous nous rejoignons sur la nécessité d’une régulation », souligne Simon Walmsley, en charge des politiques maritimes au WWF britannique.
« Nous sommes favorables à une régulation carbone mais par le biais d’un système de récompense accordées aux technologies propres plutôt que par l’intégration dans un marché de quotas », confirme Signe Bruun Jensens, directrice des programmes environnementaux chez Maersk Line. « La SSI va nous permettre de promouvoir le bien-fondé d’une évolution massive vers des techniques de propulsion qui limitent les émissions. » Le transporteur, qui gère une flotte de 500 navires, s’est engagé sur ce point en passant commande de 20 cargos dits « Triple E », avec une capacité supplémentaire de 16% pour une consommation de carburant et des émissions de 50% inférieures par rapport aux cargos classiques. Chaque navire est délivré avec un passeport « Cradle to Cradle » qui assurerait une recyclabilité de 90%. Alors que près de 40% de la flotte de commerce mondiale a plus de quinze ans, le chantier de la transformation écologique est colossal…
Objectifs de la première feuille de route
- Mettre en place des modèles de financement innovants pour faciliter les investissements dans de nouvelles technologies.
- Lever les barrières qui empêchent l’ensemble du secteur de s’engager dans des carburants et technologies propres.
- Améliorer le cycle de vie des cargos en bannissant les matériaux polluants et en améliorant les conditions de recyclage
- Produire un « standard of standards » : un cadre de gouvernance global qui compile et trie les codes de conduite et objectifs volontaires existants.

Code de conduite volontaire
« Notre rôle d’ONG est de tirer vers plus d’exigence de la part des acteurs. L’objectif à court terme est d’obtenir des changements rapides et pragmatiques sur les technologies propres et d’aider les entreprises à coopérer pour mener des politiques d’innovation ambitieuses », souligne Sam Kimmins de Forum for the Future. Selon Unilever, client des transporteurs, qui a décidé de réduire de 40% l’impact de ses activités logistiques d’ici 10 ans, « la SSI doit permettre de démontrer qu’un service compétitif peut intégrer des impératifs écologiques et soutenir la demande pour créer l’offre », souligne Flip Dotsch, responsable des relations extérieures.
Ce type de partenariat entre ONG et entreprises pour fixer des codes de conduites privés est de plus en plus fréquent. Si la SSI s’inscrit dans la même démarche que les tables rondes sur le soja ou l’huile de palme durables – on y retrouve d’ailleurs Cargill, Unilever et le WWF - l’initiative n’a pas pour objectif de devenir un cadre d’obligations volontaires ou de donner lieu à une labellisation, qui, dans le cas du soja et de l’huile de palme est jugée trop laxiste par des ONG comme Greenpeace ou les Amis de la terre. « La SSI n’a pas de rôle de régulateur, ne compte pas en avoir, et n’a certainement pas pour but de remplacer les processus à l’œuvre dans l’OMI, qui est le meilleur cadre de régulation des émissions », précise Signe Bruun Jensens, chez Maersk Line.
L’initiative a consisté d’abord en un exercice de prospective, « Case for action », pour évaluer les risques et opportunités du secteur dans les décennies à venir : instabilité du contexte économique, émergence d’une économie circulaire et dématérialisée qui pourrait conduire à un ralentissement du commerce mondialisé, transition énergétique, exigence de transparence, difficulté de recrutement du personnel sans amélioration des conditions de travail, éclatement de la gouvernance maritime… L’objectif affiché est de créer un leadership innovant susceptible de tirer l’ensemble du secteur. Pour y parvenir, cinq feuilles de routes vont fixer des axes d’action (voir encadré).
Les pavillons de complaisance représentent plus de 50% du trafic
Selon Simon Walmsley, « les membres du SSI peuvent relever « de facto » les standards en développant des bateaux recyclables et peu consommateurs qui naviguent sous des pavillons respectueux des règles. Ces cas d’écoles, ainsi que le travail de l’OMI contribueront, soyons optimistes, à mettre fin à la complaisance. » Le « Case for action » souligne cependant la difficulté d’une gouvernance globale du secteur et le risque « sur fond de faiblesse de l’OMI, d’une multitude de réglementations régionales qui pourraient conduire à une industrie à deux vitesses, avec des leaders capables d’assumer les coûts de conformité et de naviguer partout et des mauvais élèves cantonnés aux zones laxistes ». Aujourd’hui, parmi les dix premiers pavillons mondiaux, six sont de libre immatriculation (Panama, Libéria, Bahamas, Iles Marshall, Malte et Chypre), autrement nommés pavillons de complaisance. En 2007, ils totalisaient 564 millions de Tpl (tonnes de port en lourd), soit plus de la moitié du trafic global, selon l’Institut d’Economie Maritime et de Logistique. Le pari est que la réglementation se renforcera dans le sillage de la SSI. A défaut, le secteur aura du mal à se doter d'une gouvernance harmonisée.
Anne de Malleray
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